Intro

Regarder un tableau c’est chercher une ouverture : une résonnance à la fois intime et étrangère, « un tout autre, si près », (si on inverse le titre de l’ouvrage de François Julien1 qui inspire ce propos), une rencontre imprévisible, hasardeuse recherchée par les véritables amateurs.

Devant une œuvre de Sophie Cauvin, l’amateur n’est plus simplement spectateur, il ou elle ne contemple pas, ni interprète. Happé, le sujet du regard participe de l’univers tantôt capté par les tourbillons du magma ou tantôt « mis en orbite ». Il se sent partie du tout, agent du Cosmos, incapable de décider s’il vit dans l’instant ou dans l’éternité, s’il vole où creuse, s’il transcende ou plonge dans l’immanence. Oscillations de temporalités, du proche et du lointain qui le renvoient à lui-même comme être au monde dans sa complexité.

Or le regard des critiques et des historiens d’art, par défaut professionnel ? n’est pas celui de la rencontre mais celui des relations focalisées sur l’insertion de l’œuvre face à une histoire, ses filiations, influences, amalgames, nouveautés. Bref, après l’avoir décortiquée, ils figent l’œuvre et l’enserrent dans des cases, des « ismes », ou encore classent son étrangeté comme rupture, cependant il n’y a de ruptures que face à des traditions sous jacentes.
Leurs appréciations sont conduites par une assimilation à soi, à leurs connaissances. Cette prise de possession annihile toute disponibilité de s’ouvrir à une telle rencontre, un transport impromptu, hors soi, inexplicable2. Or, ce qui nous interpelle, nous fascine dans ce face à face à l’oeuvre c’est l’inconnu, « l’inouï »3 et non les différences qui impliquent une comparaison avec le connu enfermé en soi. Si on s’interroge sur ce que doit Braque à Picasso ou tous deux à Cézanne, si Miro s’inspire ou préfigure le Surréalisme ou encore en quoi l’art de Sophie Cauvin relève de l’influence d’un Symbolisme millénaire, du guóhuà, de Tapiès ou Richter ? Comment peut on ouvrir notre sensibilité à la jouissance ou au débordement esthétique ?

L’analyse4 doit survenir en second temps après un éventuel éblouissement (ou son absence) ce dernier ne pouvant avoir lieu que lorsque le regardeur s’oublie, se vide, se rend disponible à cet avènement potentiel. Vivre l’art c’est aussi désexclure : « c’est seulement quand on aura perçu (si l’on a perçu) que les opposés ne peuvent aller l’un sans l’autre, ou que l’autre n’est com-pris que pris avec son opposé, que la vie peut se libérer5 

C’est ainsi que matière et esprit, se rencontrent. Mais pour que le déclic ait lieu la co-présence de l’œuvre et du regardeur est indispensable, car « l’aura » de l’art : « l'unique apparition d'un lointain si proche soit-il » comme l’écrit Walter Benjamin, s’éclipse dans toutes reproductions.

Conclusion : Allez voir les œuvres de Sophie Cauvin, prenez le risque d’une belle et émouvante rencontre.

Gladys Fabre

1 François Jullien Si près, tout autre, Grasset 2018
2 Inexplicable mais explorable par son ressenti et la pensée comme les déploie et conjugue magistralement l’écriture de Véronique Bergen dans plusieurs essais sur Sophie Cauvin.

3 «  Si ce qui fait tout grand peintre est d’avoir croisé l’inouï » (ici à propos de Van Gogh) op cit 1 page 213
4 Notons : l’approche artistique de Sophie Cauvin, parfois entrelacée d’influences ou de références transversales les porte ailleurs au fil de son cheminement personnel, dont  le comment il se trace interroge l’analyse a-posteriori.
5 Op. cit.1, p.55